#18 - Le Sud du Pérou

D'Arequipa, la superbe ville blanche, au Lac Titicaca, le lac navigable le plus haut du monde...
Du 5 au 9 décembre 2019
5 jours
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Sans hésitation, le couvent de Santa Catalina est le plus beau que nous ayons rencontré en Amérique. C'est peut-être à cause de ses dimensions. Avec deux hectares de superficie, c'est le plus grand du monde. Une véritable ville dans la ville d'Arequipa. C'est peut-être à cause de son nom. Catalina est la plus fière d'avoir un monastère qui porte son nom. Mais c'est surtout à cause de l'atmosphère qui y règne. Un véritable dédales de ruelles, de cours, de parcs et de cloîtres. A chaque coin, une nouvelle découverte. Toute en couleurs : bleu azur, rouge terre, blanc éclatant... Un joyau historique, architectural et patrimonial.

Le couvent a été créé au 16ème siècle, dans le centre de la ville d'Arequipa. Plusieurs centaines de religieuses y vivaient, coupées du monde extérieur. Souvent, c'étaient les riches familles espagnoles qui y étaient représentées par une de leur fille. Il fallait donc une dot importante pour pouvoir y entrer. Certaines sœurs, plus pauvres, étaient également acceptées, mais devaient faire valoir une compétence qui serve la communauté : musicienne ou autres.

Une guide francophone nous permet de faire le tour du propriétaire. L'immense portail amène dans le couloir d'entrée jusqu'à l'arche du silence qui débouche sur le cloître des novices. Pendant plusieurs années, les novices se consacraient à la prière et au travail. Les parloirs permettaient aux sœurs de rester en contact avec leur famille à travers une grille, une fois par mois.

Nous arrivons ensuite dans le cloître des orangers, peint dans un superbe bleu ciel. Le contraste des couleurs est saisissant.

En fonction du rang social et de la fortune de la famille, la religieuse bénéficiait d'un logement plus ou moins important. Parfois austères, parfois luxueuses, les maisonnettes permettent aussi d'accueillir jusqu'à 4 servantes chargées d'accompagner la religieuse. Les cuisines sont également impressionnantes avec leurs murs noircis par des siècles de cuisine au feu de bois.

Un purificateur d'eau attire notre attention : de forme conique, cette pierre volcanique laisse percoler l'eau. En quelques heures, on obtient un litre d'eau devenue potable. Nous arrivons ensuite dans la rue Cordoba, bordée par les cellules des sœurs.

Au bout de la rue, un lavoir ingénieux et esthétique permettait de laver le linge. Des demi-jarres jouxtent une rigole qui achemine l'eau. Un petit parc ajoute une touche de végétation dans un couvent déjà agrémenté par des nombreuses fleurs et arbres.


Après plusieurs siècles, les religieuses s'ouvrent finalement au monde. Avec la Réforme de 1871, l'organisation du couvent change. Finis les logements privés et les servantes. La communauté vit à présent dans des dortoirs et des cuisines communes. En 1970, le Couvent ouvre ses portes au public et confie la gestion de la partie touristique à une entreprise privée. La vingtaine de religieuses vivent à présent dans un bâtiment moderne, toujours dans l'enceinte du monastère. Depuis 1985 et la visite de Jean-Paul II, elles peuvent parler et avoir des contacts avec l'extérieur.

Nous terminons notre visite par la dégustation d'une pâtisserie dans la cafétaria du monastère : tarte aux citrons et bavarois au fruit de la passion. Un régal dans un cadre sympathique.

Dans le Grand Cloître, une fête se prépare. Les tables et les montages floraux embellissent encore ce lieu déjà magnifique. Une visite qui vaut largement le détour.

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Dans le centre d'Arequipa, nous expérimentons la conduite "sportive" des péruviens. Il n'y a pas de mot pour la qualifier : brute, sauvage, grossière... Les péruviens au volant, c'est un désastre.

On est pourtant habitué au trafic en Amérique du Sud. Nous y avons déjà parcouru des dizaines de milliers de kilomètres en Concorde. Nous avons arpenté les plus grandes capitales. Mais jamais nous n'avons été confrontés à cela. Nous savons qu'il faut faire attention. Nous savons qu'il faut bien regarder avant de traverser. Nous savons que les Péruviens ne s'arrêtent pas pour laisser passer un piéton. Cela se confirme.

Mais cela devient de la sauvagerie. Edna traverse prudemment une rue avec les quatre enfants. La voie est libre, on s'en est assuré avant de s'engager. Alors que nous sommes au milieu de la traversée, des voitures surgissent. Plutôt que de ralentir en voyant une famille traverser, c'est tout le contraire, les automobilistes accélèrent ! Avec une agressivité qui fait peur. L'air de dire : pousse-toi de là, je suis le plus fort.

Et ce n'est pas une expérience isolée ! Cela fait partie de l'ADN du chauffeur péruvien ! A chaque coin de rue, c'est la même agressivité qui s'exprime. Dommage pour Arequipa, qui est pourtant une ville touristique, habituée aux visiteurs qui aiment déambuler dans le centre. Cela gâche franchement le plaisir.

Cette animosité, on la ressent aussi au volant. Malgré ses 6 tonnes, ses 3,40 mètres de haut et ses 9 mètres de long, le Concorde ne fait pas peur aux automobilistes. C'est chacun pour soi. Même si le passage est bloqué, le motorhome engagé, l'espace infranchissable... les petites voitures vont quand même accélérer et essayer de se faufiler. Quoi qu'il arrive. Comme un jeu pour montrer qui sera le plus fort ou le plus malin. Même si cela bloque encore plus le trafic. Même si cela ne fait avancer personne...

Vraiment dommage. Après la conduite disciplinée, respectueuse et aimable des Chiliens, cela donne une image peu accueillante du Pérou et de ses habitants.

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A quelques pas du Convento Santa Catalina, nous rejoignons la Plaza de Armas d'Arequipa. La Cathédrale qui s'y dresse est majestueuse. On sait à présent pourquoi elle est surnommée la ville blanche. Tous les bâtiments du centre historique sont blancs, bien sûr. Mais ce qui la rend unique, c'est que cette blancheur provient du 'sillar', une roche volcanique de la région qui a pour particularité incroyable d'être blanche. C'est unique, authentique et superbe.

Pour la première fois, nous sommes plongés dans l'ambiance de Noël. Les décorations et les illuminations, bien sympathiques, sont omniprésentes. Pour la première, fois, nous sommes face au rythme des traditions. Depuis le début du voyage, nous naviguions hors du temps. Sans montre, sans calendrier et sans agenda. Passant de l'hiver en été, de la neige aux plages ensoleillées... Cette fois-ci, le repère est clair : nous sommes au mois de décembre et c'est bientôt Noël ! Il ne manque que le vent, la neige et la pluie, mais c'est un repère qui nous est familier et qui nous ramène à nos traditions.

La place est animée. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la gendarmerie péruvienne. Les uniformes sont partout . La Cathédrale est inaccessible. Un défilé se prépare. On ne pourra pas dire qu'on ne se sent pas en sécurité. Nous profitons de la grande ville pour un passage chez le coiffeur. Ce n'est plus arrivé depuis des mois. Une belle coupe pour les garçons et une pédicure pour Edna.

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Le restaurant Hatunpa a une spécialité : la patate ! Le Pérou, c'est le pays de la pomme de terre. C'est d'ici qu'elle vient ! Avant que les colons ne la ramène en Europe, c'est sur les hauts plateaux des Andes qu'elle a été cultivée pendant des siècles. On en dénombre plusieurs milliers de variétés, soit un peu plus que les classiques Bintje et Nicola qu'on a l'habitude de consommer chez nous.

Dans l'assiette de Hatunpa, on peut choisir jusqu'à 7 variétés de patates ! Si la forme ne change pas, les couleurs, les goûts et les textures sont différents. Certaines pommes de terre sont 'natives', c'est-à-dire endémique à la région. On ne les trouve nulle part ailleurs. Çà, c'est pour la base. Après on peut choisir l'accompagnement dans une variété de plats typiquement péruviens : aji de gallina (poulet avec une sauce au piment doux), lomo saltado (boeuf aux tomates et oignons), etc.

Catalina teste ses limites : elle commande de la viande d'Alpaga, délicieuse selon elle. Santiago va un pas plus loin, en se risquant à manger du "Cuy". On ne peut pas faire plus typique. Le "Cuy" est un cochon d'inde qu'on élève pour être mangé. La recette qu'on nous apporte n'est pas la version traditionnelle du "cuy" cuit à la broche. C'est une version asiatique. Visuellement moins impressionnante. Mais on identifie encore clairement les pattes du rongeur. Au niveau du goût, Santiago apprécie sa découverte. Pas tellement différent du lapin, mais le "Cuy" à la réputation d'être une source de protéines importante, bonne pour le cholestérol !

 Le Cuy de Santiago

Nous arrosons le repas avec une cruche de 'Chicha morada', la délicieuse boisson sucrée péruvienne à base de maïs mauve.

Le restaurant n'est pas tellement fréquenté par les péruviens. Sur les tables, la tradition veut que chaque client affiche son drapeau national. Pas de problème pour la Belgique et la Colombie. Nous sommes néanmoins déçu : pas de drapeau liechtensteinois disponible !

Nous passons une belle soirée à Hatunpa. Nous parcourons ensuite les rues illuminées d'Arequipa. Une ville superbe. Probablement la plus belle ville que nous ayons visité jusqu'ici.

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Le sujet revenait dans les discussions depuis plusieurs jours. Viendra ou viendra pas ? Cette fois-ci, c'est le grand jour. Nous sommes le 5 décembre et, cette nuit, Saint Nicolas passe dans toutes les maisons de Belgique pour récompenser les enfants sages. Trouvera-t-il notre maison roulante perdue dans la Cordillère des Andes ? Aura-t-il le temps de traverser les océans pour nous retrouver ? Et puis surtout, les enfants ont-ils été sages ?

Les arguments pour ou contre ont été énumérés. On a fait le tour du sujet pendant plusieurs jours. Mais aujourd'hui, on va enfin savoir ce qu'il en est ! Malgré les doutes et les interrogations, Manuel, Catalina, Mateo et Santiago décident quand même de tenter le coup. Ils préparent leur assiette pour accueillir le patron des écoliers : patates pour son âne, boisson pour le rafraîchir, petite attention pour le Père Fouettard qui l'accompagne... Le cérémoniel est connu et bien rôdé ! Tout est prêt. C'est le moment de vérité...

Stationné dans un camping d'Arequipa, la nuit dans le Concorde est calme. Pas un bruit. Au petit matin, le suspense est à son paroxysme. Lorsque la porte de la chambre s'ouvre, les enfants retiennent leur respiration. Jamais ils n'ont autant douté de la venue du Grand Saint. La délivrance est proche... Quelque chose a changé dans le salon du Concorde. Les patates ont disparu, dévorées par l'âne. Les bouteilles sont vides, englouties par Saint Nicolas et son assistant. Les assiettes sont remplies de chocolats. La déco a été refaite... Cette fois, ça y est. Il est passé !

Au milieu de la table, un cadeau unique : un bon pour aller au cinéma ! Génial ! Sans Papa et Maman ! Encore mieux !

Tout le monde est soulagé. Même à l'autre bout du monde Saint Nicolas ne cesse de nous surprendre. "Merci Saint Nicolaaaaaaas" crient les enfants vers le lanterneau, à défaut de cheminée. Une Saint Nicolas vraiment spéciale...

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Depuis le Centre du Chili, nous avions quitté les hauts sommets de la Cordillère des Andes. Aujourd'hui, nous y revenons. Nous voulons rejoindre le Cañon Colca, à 200 kilomètres d'Arequipa.

De 2.500 m d'altitude, nous grimpons jusqu'à 3.500 m, en passant un col à 5.000 mètres ! La route monte. Une côte d'une centaine de kilomètres nous permet de rejoindre un haut-plateau. Le Concorde n'arrive pas indemne. Ludovic surveille constamment l'aiguille de température, mais le dépassement d'un camion qui nous bloque depuis plusieurs kilomètres est la manœuvre de trop : le moteur chauffe et nous contraint à l'arrêt, le temps de remettre de l'eau dans le radiateur pour faire baisser la température.

Les 6 heures de route qu'on nous a indiquées sont plus longues que prévues. D'habitude, cela ne pose pas de problème. Nous trouvons un bivouac et on passe la nuit sur place avant de continuer le lendemain. Ici, c'est plus compliqué. A cause de l'altitude. Si nous ne voulons pas souffrir du 'soroche', le mal des montagne, nous nous sommes fixés 3.500 mètres pour passer la nuit. A cette altitude, nous pouvons nous acclimater avant de continuer à monter après la nuit.

A 17h, il nous reste encore une centaine de kilomètres avant d'atteindre le Cañon Colca. C'est trop loin. Dans une heure, le soleil se couche et nous devons trouver un endroit pour dormir. Nos organismes ressentent les effets de l'altitude. Les enfants se plaignent de maux de têtes et de nausées. Des signes qui ne trompent pas. Mais nous sommes à 4.500 mètres d'altitude et il nous reste encore un col de 5.000 mètres à franchir avant de pouvoir redescendre.

Un paysan nous les confirme : devant nous, cela ne fait que monter ! Nous décidons de rebrousser chemin pour redescendre. Au fur et à mesure, nos corps respirent mieux. Les symptômes s'atténuent. Juste avant le coucher du soleil, nous nous arrêtons à Patahuasi, un carrefour routier au cœur de la Reserva Nacional de Salinas Blancas. On ne peut pas aller plus bas. De chaque côté, la route remonte.

Nous trouvons refuge devant un petit restaurant. Fermé. La propriétaire nous accueille avec le sourire et nous rassure : on peut passer la nuit sur le parking. Nous sommes à 4.000 mètres d'altitude et les douleurs n'ont pas disparu. La nuit ne sera pas très bonne. Le sommeil ne suffit pas à nous soulager. Probablement la nuit la plus difficile de notre voyage.

Le lendemain matin, nous nous réveillons sous un superbe ciel bleu. Le volcan et les montagnes qui nous entourent sont magnifiques. Nous passons dans la boutique d'artisanat pour remercier celle qui nous a permis de trouver un refuge pour la nuit.

Nous décidons de ne pas poursuivre vers le Cañon Colca. Nous sautons l'étape pour rejoindre directement le Lac Titicaca. Même si la route monte encore, cela nous permet de passer la prochaine nuit plus bas. Nous en avons besoin. La route qui serpente dans l'altiplano est impressionnante. Nous croisons des hameaux, une tornade, un train perdu dans le paysage immense, des lacs d'altitude... Nous faisons le plein de fromage au détour d'un village. Nous montons jusqu'à 4.500 m avant de redescendre vers le Lac Titicaca, berceau de la civilisation inca...

La ville de Juliaca n'est pas très accueillante. Des rues défoncées, une circulation chaotique, des détritus à perte de vue... On n'a pas envie de s'y attarder. Heureusement, le spectacle des moto-taxis qui envahissent la ville nous amuse. La baisse d'altitude a aussi redonné le sourire à tout l'équipage. Nous venons de vivre une étape éprouvante... et inoubliable. Comme souvent.

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Puno est la porte d'entrée principale de la rive péruvienne du Lac Titicaca. C'est aussi de là que partent les tours-opérateurs pour une visite du Lac. Nous ne voulions pas de cette ville qui n'a pas beaucoup d'attrait. Nous choisissons donc de découvrir le Lac Titicaca par la Péninsule de Capachica. Réputée moins touristique et plus authentique. Nous ne sommes pas déçus.

La route qui nous mène à Llachon, le village situé à la pointe de la péninsule, nous conduit à travers une campagne paisible, où les motos de tous styles sont la norme : moto-taxi, moto-benne, moto-cargo, moto-bus... C'est un autre monde. Nous plongeons dans la ruralité andine avec les 'campesinas', les paysannes qui travaillent dans les champs avec leur costume traditionnel, les bergères qui se promènent avec leurs moutons au milieu de la route, les champs de pommes de terre... Avec, en toile de fond, la Cordillère des Andes et le majestueux Lac Titicaca...

Le tourisme est présent sur la Péninsule de Capachica. Mais c'est un tourisme durable et raisonné. Quelques chambres d'hôtes et des guides touristiques permettent aux paysans de diversifier leurs revenus tout en préservant leur culture, qu'ils sont fiers de partager. Fredy est l'un d'eux. Nous l'avons contacté il y a quelques jours pour qu'il puisse nous faire découvrir le Lac. Fredy cultive quelques terres qui appartiennent à sa famille depuis des générations. Depuis quelques années, il a acquis un bateau qui lui permet de transporter les touristes sur le lac. Parallèlement à cela, il développe les chambres d'hôtes autour de sa maison. En fonction de ses rentrées financières, il aménage son petit coin de paradis qui fait sa fierté. Un jour, il espère pouvoir vivre du tourisme.

Sa maison n'est pas accessible avec le motorhome, nous campons donc sur le bord de la route, à quelques mètres de l'entrée du petit village de Llachon. Mais la route nous a épuisé, et nous sommes heureux de pouvoir manger le souper que sa femme nous a préparé. Une délicieuse soupe aux légumes. Très réconfortante. Et une spécialité du lac : la truite. Même si on la retrouve un peu partout en Amérique du Sud, la truite saumonée, n'est pas endémique. Elle a été importée du Canada il y a quelques dizaines d'années.

Le repas nous remet d'aplomb. La petite fille de la maison, très timide, passe de temps en temps la tête par la porte de la cuisine pour satisfaire sa curiosité. Nous remontons dans le Concorde pour une nuit plus calme que la précédente : nous sommes passés sous les 4.000 mètres d'altitude et la nuit sera certainement meilleure...

Le lendemain matin, nous nous éveillons au bord du lac. Edna prépare d'immenses sacs de linge sale qu'elle confie à la femme de Fredy, pour que nous puissions les récupérer propre en fin de journée. Un travail titanesque, entièrement fait à la main.

En bas du sentier, un embarcadère a été aménagé pour le village. Fredy et son bateau nous y attendent. Nous sommes les seuls passagers. Nous quittons la rive de la Péninsule de Capachica en direction de l'Île de Taquile. Nous sommes, seuls, au milieu du lac navigable le plus haut au monde, à 3.800 mètres d'altitude.

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Après une bonne demie heure de navigation, nous arrivons au pied de l’île de Taquile. Les maisons et les cultures en terrasse témoignent de l'activité humaine sur l'île. Fredy nous dépose au port et nous convenons d'un point de rendez-vous de 'autre côté de l’île pour qu'il vienne nous rechercher.

La porte d'entrée de la communauté de l’île de Taquile marque aussi le début d'une ascension courte mais pentue. Plusieurs haltes sont nécessaires pour reprendre notre souffle. L'oxygène est rare à cette altitude. En quelques centaines de mètres nous passons de 3.800 à 4.000 mètres d'altitude. Quelques 'Taquileños' (hommes, femmes et enfants de l'île), profitent de nos pauses pour nous dépasser, le dos chargé de marchandises acheminées au port. A mi-chemin, nous succombons aux bracelets artisanaux vendues par une vieille dame, malicieuse et un peu fourbe en affaires...

Nous atteignons la place principale du village qui domine l'île et offre une vue imprenable sur le lac. Nous sommes les seuls touristes à cette heure de la matinée. Les habitants vivent selon les règles d'une société ancestrale traditionnelle. Les costumes et les bonnets, des hommes, des femmes et des enfants, sont autant de codes qui déterminent le statut de chacun : marié, célibataire, etc. C'est dimanche, jour où les hommes du village se réunissent pour discuter des affaires de la communauté. Devant la mairie, nous assistons à l'arrivée des hommes qui se saluent selon un rituel très précis : en signe de bonjour, on échange une poignée de coca avec son interlocuteur.

L'artisanat de Taquilé est réputé dans le monde entier. Les femmes s'occupent du tissage tandis que le tricot est réservé aux hommes. Un tricot qui est une véritable science, puisque les bonnets traditionnels tricotés doivent avoir des mailles assez serrées pour y stocker de l'eau. Un travail d'orfèvre.

Edna parcourt le marché artisanal, où les femmes s'occupent du tissage. Alors qu'elle tente de s'approcher pour leur poser quelques questions, un homme lui barre la route... il n'est pas permis de s'adresser aux tisserandes ! Un peu plus loin, un homme qui tricote est avare de ses réponses. Difficile donc d'établir un contact avec la population de l'île. Est-ce la barrière de la langue (les taquileños parlent quechua) ? Est-ce un dédain pour le touriste ? Est-ce une manière d'être, propre à cette culture ? On ne sait pas vraiment. On a eu l'impression que le touriste est attendu sur l'île pour y dépenser son argent et acheter de l'artisanat. Une chose est sûre, l'accueil est loin d'être chaleureux et ne nous laisse pas un souvenir impérissable.

Heureusement, à la sortie du village, une femme avec un sourire timide nous accueille derrière son barbecue. Elle vend des succulentes brochettes d'alpaga surmontées d'un belle patate. Voilà qui nous rend heureux après l'accueil plutôt froid. Nous avons reçu un sourire et dégusté de succulentes brochettes. Que demander de plus ?

Le chemin qui nous amène de l'autre côté de l’île offre une vue fantastique sur le Lac Titicaca et les pentes abruptes de Taquile. Une belle promenade qui nous transporte dans une autre époque.

Quand nous arrivons au port, les bateaux venus de Puno sont arrivés. Nous croisons des groupes de touristes étrangers qui remontent vers le village. Nous avons bénéficié d'un moment privilégié, seuls sur l'île. Il est temps de la quitter. Fredy nous attend à l'embarcadère et nous reprenons la navigation.

Edna en profite pour discuter avec Fredy. Ce sont toujours des moments de discussion intéressants. Elle apprend que, tant sur la Péninsule de Capachica que sur l’île de Taquile, le divorce est interdit. Rien d'étonnant, dans une société traditionnelle. Ce qui l'est plus, c'est que les couples ont le choix de vivre ensemble, mariés ou pas. Ainsi, quand un couple décide de vivre ensemble, il n'est pas contraint de passer par la case mariage. Car le mariage est sacré, et il faut être sûr de pouvoir s'engager pour toujours.

Fredy et sa femme vivent ensemble depuis de nombreuses années. Ils ont aussi des enfants. Mais ils ne sont pas mariés. Quand ils seront sûrs de leur engagement et qu'ils seront prêts à franchir le pas, ils se marieront. Ce jour-là, toute la communauté se met au service du couple. Pendant deux semaines, tout le monde leur viendra en aide. Ils recevront des terres qu'ils pourront cultiver. Mais après cela, aucun retour en arrière n'est possible...

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Une des raisons qui nous a amené à Capachica, ce sont les îles flottantes Uros. Nous avons entendu parler des Iles Uros que le tourisme de masse visite depuis Puno. Il y en a beaucoup et leur authenticité est remise en question. Certaines familles ne vivraient plus sur leur île et feraient la navette tous les jours depuis Puno. Pas vraiment ce qu'on recherche. Nous avons trouvé une alternative avec les îles Uros Titinos, qui sont plus éloignées de Puno et plus proches de la Péninsule de Capachica. La vie semble y être plus authentique.

Quand le bateau arrive en vue de la Réserva Nacional del Lago Titica, des toits se détachent de l'immense champ de roseaux. Cinq îles sont regroupées dans cette partie du lac. Georges, le chef de la communauté, qui compte 4 familles, nous accueille avec les enfants sur le bord d'une des îles flottantes.

Quel lieu unique ! Lorsque nous descendons du bateau, nos pieds s'enfoncent dans une couche épaisse de roseaux. Une table et une paillote sont dressées pour nous accueillir. Nous avons demandé de pouvoir dîner sur l’île. Le menu est similaire à celui de la veille, mais c'est une autre spécialité que nous goûtons aujourd'hui : la perche du Lac Titicaca. Un autre poisson non natif, mais délicieux ! Le luxe du menu, c'est la tranche de tomate, unique et préservée, une denrée précieuse sur le lac.

Nous découvrons aussi la 'Muña', une herbe infusée dont les propriétés se rapprochent de celles de la coca pour lutter contre le mal d'altitude.

Après le repas, Georges nous invite à nous asseoir pour nous expliquer les étapes de la fabrication d'une île flottante. La base de tout, c'est la 'totora'. Un roseau qui pousse sur les rives du lac, juste à côté des îles flottantes. C'est une réserve naturelle protégée que seuls les indiens uros peuvent exploiter.

Pour construire une île, des grands blocs de racines de roseaux sont découpés à la main puis assemblés en fonction de la taille de l'ile. Sur cette base, les totoras sont étalées, en couches alternées pour réaliser un plancher. Les maisons sont ensuite construites, toujours en roseaux, et posées sur un lit de totora. Avec le temps, les roseaux s'enfoncent dans l'eau. Toutes les 2 ou 3 semaines, il faut donc remettre une couche. Un travail sans fin, qui permet de rester à flots.

Le 'totora' sert également d'aliment. Ils l'ont surnommé la 'Banane des Uros' puisque son cœur, blanc, est consommé comme un fruit... aux vertus laxatives ! Le roseau est présent dans la construction des maisons, la fabrication des bateaux traditionnels, l'artisanat, etc.

Les indiens uros vivent de la pêche, de la chasse des oiseaux et de la récolte des oeufs dans la roseraie. L'artisanat vient compléter leurs revenus, avec la vente aux touristes de passage.

Les Uros consomment ce qu'ils chassent, cueillent et pêchent. Mais une partie de leur production est amenée sur les rives du lac. Ils se livrent alors au troc et ramènent des produits de la terre : du quinoa, du riz, de la pomme de terre et de la pomme de terre déshydratée, séchée pour une meilleure conservation.

La présentation est intéressante et très instructive. Nous ne manquons pas de questions tant le sujet nous passionne. Alberto, le beau-frère de Georges, nous invite dans sa maison, pour nous montrer comment ils vivent dans quelques mètre carrés, avec sa femme et ses enfants. La vie peut être rude sur le lac, avec des tempêtes et des températures très basses. Il nous propose ensuite l'artisanat de la communauté. Nous passons l'après-midi à profiter de l'atmosphère extraordinaire de l'île flottante.

Nous terminons la journée avec une sortie en bateau traditionnel. Même s'il est entièrement construit en roseaux, Georges nous explique que le cœur du bateau est composé de bouteilles en plastique. Cela améliore la flottabilité, bien sûr, mais cela permet aussi de recycler les dizaines de bouteilles qu'ils ont retrouvées sur le lac. Aucun endroit sur terre n'est épargné par le fléau du plastique... La cueillette du totora se fait à la main. Georges nous explique la technique ancestrale.

Il est déjà temps de quitter l’île des Uros. Un moment magique, comme suspendu dans le temps. Quelle chance nous avons de rencontrer des gens qui ont choisi un mode de vie unique. Une vie dure et éprouvante, qui résiste aux tentations de la vie citadine de Puno. Les indiens Uros Titinos n'ont pas choisi la facilité. Mais ils sont fiers de leur culture et ils travaillent tous les jours pour la maintenir et la faire connaitre. Pour que celle-ci continue d'exister.

Derrière les montagnes des Andes, le soleil commence à se coucher sur le Lac Titicaca. Sur le toit du bateau qui nous ramène à Llachon, les yeux rivés vers l'horizon de cet immense lac, Santiago, Mateo et Manuel partagent avec Ludovic leurs impressions sur cette rencontre qui les a marqué. Un moment inoubliable qui reste, pour toujours, dans nos mémoires.

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Sur le trajet du retour, Fredy nous propose de nous montrer les costumes traditionnels de Capachica. Nous acceptons. Après tout, c'est intéressant, et cela fait partie de la fierté de ces communautés du Lac Titicaca. Partout dans la péninsule, nous avons croisé des femmes et des hommes qui les portent, même pour travailler aux champs.

Nous sommes surpris quand Fredy apporte un costume pour chacun d'entre nous. La séance d'essayage et de photos est entamée, impossible de refuser. Un beau souvenir que nous gardons. Une plongée dans l'univers de 'Tintin et le Temple du Soleil'...

Pendant que notre linge termine de sécher, nous profitons de la vue depuis la maison de Fredy et Jessica. Un très bel endroit, authentique et inoubliable.

Alors que nous rejoignons le Concorde avec les sacs remplis de linge propre et frais, le soleil embrase le ciel au moment de son coucher. Nous passons une dernière nuit sur les rives du Lac Titicaca. Quelle poésie dans ce moment !

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Depuis que Saint Nicolas est passé nous combler de cadeaux, les enfants mettent la pression : il faut installer le sapin de Noël ! C'est au bord du plus haut lac du monde que nous respectons la tradition familiale. Un sapin et des décorations de Noël que nous avons trouvé au Chili transforment l'intérieur du Concorde dans l'esprit des fêtes de fin d'année. Une décoration à toute épreuve puisque, aussi bien le sapin que les accessoires sont garantis antichoc. Ils sont fixés, amarrés et éprouvés pour résister aux pires routes du continent !

Il manque juste l'odeur irremplaçable de l’épicéa...

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Il nous faut une journée de route pour quitter les rives du lac et rejoindre la capitale de l'empire inca...