#17 - Le Nord du Chili

Nous remontons la Ruta 5, le long de la côte pacifique, en traversant l'immense désert d'Atacama.
Du 28 novembre au 4 décembre 2019
7 jours
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Depuis que nous avons quitté la Patagonie, les températures n'ont cessé de grimper. Les forêts et la végétation luxuriante ont laissé la place à un paysage plus sec. Nous nous dirigeons vers le Nord et le fameux désert d'Atacama. 2.000 kilomètres nous séparent de la frontière péruvienne.

A Papudo, c'est un autre chili que nous découvrons. Le Chili de la côte pacifique, avec ses plages de sable blanc et son climat aride. Papudo est une superbe station balnéaire avec un bord de mer agréable. Nous profitons de la plage et de la vue sur les pélicans, le temps d'une pause de midi. Nous discutons avec un couple d'américains, intéressé par notre manière de voyager.

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Les empanadas, ce sont des chaussons farcis. On en trouve dans tous les pays d'Amérique du Sud. Chaque pays ou chaque région le prépare selon une recette différente. Les variétés sont infinies : viande, poulet, œufs, fruits de mer, etc. La pâte peut, elle aussi, varier : farine de blé ou farine de maïs. Et puis la cuisson : au four ou à la friture.

Jusqu'ici, les empanadas colombiennes étaient les meilleures : elles sont frites, à la farine de maïs, fourrées à la viande ou au poulet, accompagnées d'un trait de jus de citron vert ou d'une sauce 'aji', plus ou moins pimentée. Grapy a appris à les préparer comme personne. Elles font partie de toutes nos fêtes de famille en Belgique. Ce sont les meilleures.

En Bolivie, à Potosi, nous avons expérimenté les pires empanadas : beaucoup trop sucrées et immangeables. On a dû les jeter. L'Argentine se défend bien, avec des empanadas à la farine de blé, cuites au four et fourrées majoritairement de viande hachée.

Mais à partir de maintenant, les meilleures empanadas du monde, ce sont les chilenas ! Elles ont détrôné les Colombiennes. La pâte est composée de farine de blé. Certaines sont frites, d'autres cuites au four. Elles sont moins épaisses que leur cousine argentine. Mais plus grandes. Nous les avons découvertes sur l’île de Chiloé, au bord d'une route, dans une version aux fruits de mer... incroyablement exquises ! Tellement bonnes, qu'elles ont été englouties en quelques secondes, avant qu'on ait pu dégainer l'appareil photo.

Mais le secret des empanadas chilenas, c'est le fromage ! On en trouve en quantité suffisante pour que cela file quand on mord dedans. Il ajoute de l'onctuosité, du moelleux et... un plaisir intense ! Comme dans les publicités, on ferme les yeux quand on la croque pour la déguster avec envie.

Au bord de la Ruta 5, nous découvrons l'Hacienda Huentelauquen. C'est Erwin, notre réparateur de frigo de Valparaiso qui nous l'a conseillée. Depuis 60 ans, on y fabrique du fromage. Les empanadas y sont frites et 100 % fromage artisanal. Un régal ! Et cette fois-ci, on a préparé l'appareil photo...

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Le bivouac en pleine nature fait partie des privilèges qu'aucun autre mode de transport ne peut nous offrir. Nous arrivons à la Valle del Encanto (Vallée enchantée) en fin d'après-midi. Le site est fermé, mais le gardien nous autorise à passer la nuit devant la porte. Le paysage est superbe. Sur 360 degrés, on aperçoit les montagnes et les collines. Le soleil est en train de se coucher et nous sommes seuls au milieu de ce paysage. Un moment privilégié et unique. La nuit tombe et enveloppe le Concorde. Un ciel étoilé magnifique fait son apparition. Moment magique.

La Valle del Encanto est un site archéologique de premier plan. On y trouve des pétroglyphes, des figures gravées dans la roche il y a plus de 2.000 ans. Lorsque nous commençons notre visite, le guide du parc est sur le terrain avec un groupe scolaire. Nous descendons dans la vallée à sa recherche. Le terrain est accidenté, difficile d'accès, mais superbe entre les montagnes et les immenses rochers arrondis. L'un d'entre eux, 'el huevo', intrigue avec sa forme d’œuf.

Notre recherche n'est pas vaine. Nous trouvons le guide et l'école qui l'accompagne à la 'piedra de tacitas'. La 'pierre des petites tasses' comporte des dizaines de trous, en forme de petites tasses. Elles servaient de mortier, mais avaient également un rôle cérémoniel, avec une disposition des ouvertures qui correspond à la carte des étoiles dans le ciel.

Notre guide est attachant. Il est fier de nous montrer le patrimoine de sa région. Il veille à ce que nous soyons bien placés pour voir, n'hésite pas à nous faire prendre la pose pour une photo... vraiment adorable. Tellement enthousiaste qu'on ne sait pas ce qu'on doit croire. Ses explications sont parfois incohérentes et farfelues. Considérer Jupiter comme une étoile, ce n'est pas vraiment crédible. Finalement, qu'importe. Il est tellement gentil qu'on a envie de croire ce qu'il nous raconte... A choisir entre la vérité scientifique et une rencontre sympathique, notre cœur balance... après tout, nous sommes dans la vallée enchantée !

En fonction de la position du soleil, les pétroglyphes creusés dans la roche apparaissent avec plus ou moins d'intensité. Certains sont étonnants, dont l'espèce d'extraterrestre avec des antennes... Serait-il descendu d'un ovni ? On a pas osé poser la question à notre guide...

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Au milieu du désert et des montagnes arides, une vallée fertile ressort du paysage : la vallée de l'Elqui. Les vignes de Pisco, d'un vert puissant, contrastent avec les montagnes désertiques qui les encerclent. Le contraste est saisissant. Incroyablement impressionnant, d'autant plus que la vallée est très étroite. Un tapis vert au milieu d'un tableau sec et poussiéreux.

Nous décidons de passer la nuit à Pisco Elqui, un petit village au fond de la vallée. Un peu plus loin, la route arrive en Argentine. Le village est paisible, mais les rues sont étroites et pentues. Nous trouvons à nous garer dans la seule rue plane. Alors qu'une dispute éclate entre les enfants, Ludovic est contraint de hausser la voix pour calmer les esprits. La situation est tendue dans le Concorde. Cela ne passe apparemment pas inaperçu.

Quelques minutes plus tard, le calme est revenu après la tempête. Nous sommes en train de souper quand un policier vient frapper à la porte. Il demande si tout va bien. On se regarde, surpris par sa question. Il nous explique qu'ils ont reçu un appel pour violence conjugale. On se regarde à nouveau, encore plus étonnés. On explique la situation au policier. Il repose la question à Edna : "Vous êtes surs que ça va, madame ?". Edna le rassure, mais il demande néanmoins les papiers d'identité de Ludovic, dorénavant fiché dans la base de données de la police. Le policier repart et nous souhaite une bonne soirée avec un air sérieux. L'air de dire : "Attention, je vous surveille !"

Apparemment, le contrôle social fonctionne assez bien dans le petit village de Pisco Elqui. Après cet épisode assez embarrassant, notre sentiment est partagé : entre l'envie de savoir qui a appelé la police et "de quoi il se mêle celui-là", et le fait de se dire que c'est quand même bien que ce genre de contrôle existe. Cela prouve une certaine solidarité entre les habitants et un intérêt des autorités pour les violences intraconjugales. Une bonne chose. Nous en tirons aussi les leçons : on essaiera d'être plus discret et on fera moins de bruit la prochaine fois !

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Le ciel du désert de l'Atacama est parmi les plus purs du monde. On n'y trouve aucun nuage, presque 365 jours par an. Pas de pollution lumineuse non plus, les montagnes du désert sont éloignées des villes. C'est dans la région qu'on trouve les plus grands observatoires astronomiques du monde. Publics ou privés, chiliens, européens ou américains... Certains ont même servi de décor au repaire des méchants de James Bond. On a voulu visiter un de ces observatoires. Certains sont réservés aux professionnels. D'autres uniquement sur réservation, plusieurs semaines à l'avance. Les derniers n'acceptent pas les enfants.

La vallée de l'Elqui, c'est aussi le rendez-vous de tous les mystiques. Particulièrement à Pisco Elqui, où l'on ne compte plus le nombre de témoins qui ont observé des soucoupes volantes. Beaucoup sont persuadés que les extraterrestres débarqueront ici quand arrivera la fin du monde.

Finalement, nous trouvons un petit observatoire adapté aux enfants dans le centre de Pisco Elqui : l'Observatorio Chakana. Pendant plus de 3 heures, notre astronome (qui a étudié à l'Université de Gand) va nous passionner dans la bonne humeur. Il nous montre, grâce à son télescope, des planètes, des étoiles, des constellations, des nébuleuses, la Lune, Saturne, la Voie lactée... Une plongée passionnante dans les étoiles, sous une merveilleuse voûte céleste. Un souvenir qui restera gravé dans nos mémoires, puisqu'impossible à capter avec un appareil photo.

Observatorio Chakana 

Observatorio Chakana

Pisco Elqui

Sur réservation

https://www.facebook.com/ObservatorioChakana/


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Toute la vallée de l'Elqui est recouverte de vignes. C'est ce qui lui donne cette superbe teinte verte. Pourtant, aucun vin n'y est produit. Tous les raisins servent à un but précis : la production du Pisco, un alcool fort. Les plus grands producteurs chiliens y ont un domaine. Nous choisissons un petit producteur, coincé au milieu des géants qui le côtoient : la Pisqueria Aba, une entreprise familiale qui célèbre bientôt ses 100 ans.

Le Pérou et le Chili se disputent la paternité du Pisco. Quand on pose la question à la guide de savoir d'où est originaire le Pisco, sa réponse a le mérite d'être honnête. Elle reconnait que le Pisco péruvien existait probablement avant le pisco chilien. Mais les Chiliens ont été les premiers à remplir les critères nécessaires pour bénéficier de l’appellation 'Pisco'. Ils l'ont donc obtenue avant les Péruviens. Pour entrer dans les critères administratifs, ils ont même dû changer le nom d'un village, qui s'appelle dorénavant 'Pisco Elqui' (nous y étions hier soir) tandis que les Péruviens avaient déjà une ville appelée 'Pisco'.

Quel est le meilleur des deux ? La guide concède que le Pisco péruvien est meilleur dans les cocktails, particulièrement le fameux Pisco Sour (cocktail à base de Pisco, citron vert et blanc d’œufs), mais que le Pisco chilien est meilleur pur, quand il se boit à la manière d'un whisky...

Après une balade dans la propriété, nous passons en revue les différentes étapes du procédé de fabrication. Les alambics pour la distillation sont impressionnants. Comme le vin ou le whisky, le Pisco est ensuite vieillit dans des fûts. Les fûts de chêne donnent à l'alcool une saveur proche du whisky. Étonnante version du Pisco qui est particulière à la Pisqueria Aba. S'ensuit la traditionnelle dégustation... légère puisque nous devons reprendre la route.

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Bahia Inglesa est un petit village touristique de la côté chilienne. Nous y passons une nuit au bord de l'océan. Malgré le temps nuageux, la plage est mignonne, avec son sable blanc et ses rochers noirs. Catalina profite du bord de mer pour essayer les patins qu'elle a reçu de Sofia quand nous sommes passés à Pueblo Seco. Agréable étape entre deux journées de route.

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Le Parc national du 'Pain de Sucre' tire son nom de la forme de l'île qui le compose. La piste qui y mène est plane et désertique. On ressent l'aridité du désert. Les plages de sable blanc sont superbes, mais parfois dangereuses. Il y a plusieurs dizaines d'années, des mines en activités ont contaminé certaines parties du littoral. Le sable est donc d'un blanc immaculé, mais chargé en métaux lourds. Impossible d'y faire des châteaux de sable.

Le monde est décidément très petit. A l'entrée du parc, nous tombons sur Leo et Ania, un jeune couple belgo-argentin que nous avions rencontré plusieurs mois auparavant à Samaipata, dans l'Est de la Bolivie. Après le moment de surprise, nous échangeons nos impressions sur nos voyages respectifs et nos bons plans pour les jours à venir.

Nous nous arrêtons à la Caleta (la crique) Pan de Azucar. Quelques maisons au bord de l'eau, quelques bateaux, des pélicans, des oiseaux de toutes les formes, une immense plage et de belles vagues. Nous n'avons besoin de rien de plus pour passer un bon après-midi.

Alors que le soleil tape vraiment fort, nous partons en excursion vers un point de vue sur le parc. Cactus, cailloux, sable et poussière. Les quelques lézards sont l'unique signe de vie que nous rencontrons. La vue sur l'océan, l’île et la caleta Pan de Azucar valent le détour. Quelques guanacos et quelques vautours viennent à notre rencontre alors que nous récupérons de l'ascension à l'ombre d'un petit abri. Le paysage est à couper le souffle. A plusieurs centaines de mètres de hauteur, on voit les vagues de l'océan se fracasser sur les rochers de la côte.

Edna a rendez-vous avec un pêcheur. Nous retournons donc à la Caleta pour prendre possession de la prise du jour. Notre pêcheur est géologue de formation, mais il plonge pêcher le poisson dans les fonds marins comme le faisait son père. Avec son harpon, il se glisse entre les rochers pour atteindre des poissons qu'on a jamais vu. Franchement, on a oublié le nom des poissons qu'on a mangé. On sait juste qu'ils sont impressionnants et délicieux. Le premier a fini en ceviche. Le deuxième et le dernier à la casserole. Une fois de plus le "réflexe du pêcheur d'Edna" nous apporte un moment de plaisir et de découverte.

Nous regagnons la sortie du parc en passant par une faille géologique où coule un ruisseau. Le seul point d'eau du parc, qui apporte une légère touche de verdure dans un monde minéral.

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La Ruta 5 est la plus longue route du Chili. Elle traverse le pays sur près de 3.500 kilomètres. Elle est à l'origine de la fameuse panaméricaine, qui traverse le continent du Sud au Nord. Pour les argentins, la Panaméricaine commence dans le Parque nacional Tierra del Fuego, où nous étions il y a quelques semaines. Pour les Chiliens, elle débute sur l’île de Chiloé, où nous étions il y a quelques jours. C'est une des meilleures routes que nous ayons rencontré en Amérique du Sud. Elle est payante, asphaltée sur toute sa longueur, avec une majorité de tronçons à double bandes de chaque côté.

On y retrouve les paysages du Chili. Avec le Sud, montagneux, boisé et volcanique. Et le Nord, désertique et vallonné. C'est le nord de la route qui nous marque le plus. Pendant près de 2.000 kilomètres, sous un soleil de plomb et avec pratiquement aucune escale, nous remontons cette colonne vertébrale qui traverse le désert de l'Atacama.

Nous arrivons dans la région minière du Chili, d'où sont extraits les métaux précieux exportés dans le monde entier. C'est ici, à Copiapo, que 33 mineurs ont survécus à un éboulement il y a une dizaine d'années. Il a fallu 2 mois aux sauveteurs pour forer un puits qui a permis de remonter les rescapés à l'aide d'une capsule digne de Jules Verne. Un sauvetage qui a tenu en haleine le Chili, et la planète entière, pendant plusieurs semaines.

Nous aurions voulu visiter la mine de Chuquimata, la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert au monde. Mais les protestations et les grèves en cours dans le pays ont rendu la visite impossible. Sur la Ruta 5, nous traversons les villages miniers, remplis d'industries, de poussières et de camions au milieu du désert. Ils sont impressionnants.

Sur la route, nous croisons un immense camion destiné à l'extraction des mines. Un engin imposant, surdimensionné, organisé en convoi exceptionnel qu'on ne peut pas dépasser car il prend presque toute la largeur de la route. Les voitures qui viennent en sens inverse sont invitées à se garer sur le bas-côté à son passage. Nous le suivons pendant des kilomètres, sans pouvoir le dépasser. Ce n'est que dans une longue ligne droite, avec un accotement assez stable pour qu'il puisse se déporter, que la voiture de sécurité nous donne le feu vert. Ludovic lance le Concorde dans une manœuvre de dépassement, les yeux rivés sur l'horizon et le bout de la route. En quelques secondes, il arrive à remonter le convoi lancé à pleine vitesse. Les roues du camion sont gigantesques. Elles dépassent presque le toit du Concorde, à près de 3 mètres de hauteur. Il faut encore plusieurs centaines de mètres pour pouvoir se rabattre. Le camion minier n'est maintenant plus qu'un point qui rétrécit dans le rétroviseur. Une manœuvre inoubliable.

Au milieu du désert d'Atacama, le long de la route, nous sommes parfois surpris par un oasis. Quillaga en fait partie. Au détour de la route, au creux d'un vallée, une forêt verdoyante fait son apparition. Au milieu de l'oasis, un minuscule village, au bord d'une rivière. Quand on arrive sur la place du village, on ne passe pas inaperçu. Quelques villageois, qui profitent de la fraîcheur de la fin de journée, nous interpellent. Ils nous indiquent un endroit pour passer la nuit, juste à côté de la plaine de jeux. Parfait pour nous. On adore cela. Une place de village qui s'endort, calme et reposante, loin du tourisme, de la circulation et de l'agitation. Une chouette soirée, passée sur un banc de la place, à sentir l'atmosphère d'un village du Nord du Chili.

La Ruta 5 est rectiligne. Peu de virages, des montées ou des descentes raisonnables. Mais il y a des exceptions à cela, qui imposent de rester vigilant à chaque instant. La Cuesta Chiza fait partie de ces exceptions. C'est une côte gigantesque, comme on n'en connait pas en Europe. Plusieurs dizaines de kilomètres de descente, à un pourcentage important. Sur toute sa longueur, plusieurs voies de secours permettent aux véhicules en difficulté de se freiner dans un immense bac à graviers. La montagne qu'on descend est impressionnante. La route qui longe son versant plonge vers une vallée dont on ne voit pas le fond.

Dans une telle descente, les freins ne servent à rien. Ils seraient brûlés après quelques kilomètres, comme cela nous est arrivé à Tupiza, en Bolivie. Il faut donc jouer du frein moteur uniquement. Le Concorde arrive sans encombre au bas de la descente. Certains disent que c'est grâce au pilote du Concorde qui a acquis une expérience indéniable depuis le début du voyage et qui, à présent, gère le frein moteur comme personne. Peut-être... D'autres disent que ce sont les ingénieurs chiliens qui ont bien calculé la pente de la route. Peut-être aussi... La vérité doit être quelque part entre les deux !

En bas de la côte, nous sommes accueillis par les Pétroglyphes de Chiza. Des formes dessinées sur le flanc de la montagne il y a plusieurs centaines d'années. Nous passons la nuit en bord de route, dans une petite communauté. Nous discutons avec les enfants qui jouent sur la place du village. C'est toujours un bonheur de savoir comment ils vivent. C'est aussi incroyable de pouvoir leur expliquer notre voyage. Eux qui, parfois, n'ont jamais visité la capitale de leur propre pays...

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On va finir par croire qu'on est obsédé par les pompes à essence. On ne parle pas d'obsession, mais peut-être de fascination. On a déjà pu profiter de l’effervescence du Posto Sabiazinho au Brésil et de l’accueil de la Gasolinera HPB de Pueblo Seco.

C'est une toute autre atmosphère qu'on trouve à la station Copec de Carmen Alto. Elle est perdue au milieu du désert de l'Atacama. A part la station, il n'y a rien ! Le désert à perte de vue. La ville la plus proche est à plusieurs dizaines de kilomètres.

De tout notre périple, c'est certainement la station la plus isolée... il y a un petit air de Bagdad Cafe. A part les quatre pompes où viennent se ravitailler les camions, il n'y a rien. Le seul bâtiment est un minuscule abri pour les deux pompistes qui, encagoulés pour combattre la fraîcheur et le vent du désert, se relaient pour tenir la station éveillée pendant la nuit. Et une ruine, aussi. Peut-être le souvenir d'un restaurant ou d'un magasin qui a périclité avant de disparaître et d'être laissé à l'abandon. Nuit singulière le long de la Ruta 5.

Le lendemain matin, le soleil écrase déjà la petite station service au moment où nous reprenons la route...

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A la fin du 19ème siècle, le Nord du Chili était une source de salpêtre qui fournissait le monde entier. L'Oficina Salitrera de Humberstone était l'une d'elle. Elle livrait du salpêtre jusqu'en Belgique, où on l'utilisait comme engrais sur les champs de Flandres. Dans les années 1960, le salpêtre extrait au Chili ne peut maintenir la concurrence avec les engrais issus de la chimie. Humberstone ferme ses portes. Définitivement.

Aujourd'hui, le site est inscrit sur la liste du Patrimoine de l'Humanité de l'Unesco. Il est le témoin de ce riche passé industriel, dans un état de conservation exceptionnel. Avec ses allures de village fantôme, il nous plonge dans une époque révolue. On a l'impression que les habitants ont quitté le village d'Humberstone il y a quelques jours seulement.

La visite commence par les habitations des travailleurs. Comme souvent à cette époque, de petites maisons étaient fournies par la compagnie aux ouvriers de l'exploitation à ciel ouvert. On y découvre leur vie quotidienne. Les enfants sont particulièrement impressionnés par les jouets du temps jadis. Avec des bouts de ficelles, des boites de conserve et du fil de fer, c'est tout un univers qui s'ouvre : petit train, revolvers, épées, voitures, etc.


Dans une des maisonnette, un objet insolite attire l'attention des enfants : une machine à écrire ! Ils n'en n'ont jamais vue ! Heureusement qu'Edna et Ludovic ont les ressources pour expliquer le fonctionnement de cette curiosité. Ils prennent un coup de vieux en avouant qu'ils les ont connues quand ils étaient plus jeunes... Choc des générations !

Au bout de l'avenue centrale, nous arrivons à l'école, avec ses classes et sa cour de récréation. La déco est assez sobre... pour ne pas dire austère !

Derrière l'école, nous découvrons la place du village, où se concentre toute la vie commerciale, administrative, sportive et culturelle du village. Le magasin est immense et on y trouve toutes les fournitures nécessaires : banque, tickets de rationnement, mercerie, boucherie, épicerie, fruits et légumes, boulangerie, etc. Les installations sont impressionnantes et témoignent de l'importance de la ville et du nombre de ses habitants.

La salle de théâtre est, elle aussi, très grande. Derrière sa façade stricte, on y découvre une salle de spectacle qui devait faire la fierté des habitants. On imagine les concerts, les réunions syndicales (on peut rêver ?!), les pièces de théâtre ou les projections cinématographiques qui devaient s'y jouer lors des grands soirs.

Mais le lieu le plus insolite, au milieu de ce désert, c'est la piscine publique. Une impressionnante cuve en fer, entièrement rouillée, autour de laquelle des cabines, un plongeoir et des gradins nous plongent dans une atmosphère des bains de mer. On imagine les familles, en maillots longs qui profitent de la fraîcheur du bassin.

Au détour d'une ruelle, un petit musée commémore Le Massacre de l'Ecole Santa Maria d'Iquique. En 1907, Plusieurs centaines d'ouvriers qui manifestaient y ont été abattus par l'armée chilienne : entre 140 morts (selon le général qui a donné l'ordre de tirer) et 2.000 morts (selon un historien qui s'est penché sur la question).

De l'usine de Humberstone, il ne reste pratiquement rien. Elle a été entièrement démantelée. Mais à un kilomètre de là, sa sœur jumelle de Santa Laura est, elle, intacte. La visite des deux sites est donc complémentaire et intéressante, pour mieux comprendre le fonctionnement d'une salpêtrière. Le bâtiment administratif est à l'abandon, un peu comme une maison fantôme à l'atmosphère lugubre.

Nous déambulons ensuite dans les installations de l'usine, pour suivre le processus de transformation du salpêtre. Impressionnant. Et très intéressant. Comme souvent en Amérique du Sud, dommage qu'il n'y ait aucun panneau explicatif. Même pas une visite guidée qui aurait fait passer cette visite de très intéressante à passionnante. Mais le site vaut largement le détour.

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Nous ne sommes plus qu'à quelques kilomètres de la frontière péruvienne. Il y a quelques kilomètres, nous avons décidé de faire l'impasse sur la région de San Pedro de Atacama, une des régions les plus touristiques du Chili. D'abord, parce que d'autres voyageurs nous ont convaincus que les paysages sont similaires au Sud Lipez, que nous avons déjà parcouru de l'autre côté de la frontière bolivienne. Ensuite, c'est très, voire trop touristique. C'est ce qu'on évite, quand on le peut. Enfin, nous voulons rapidement remonter pour arriver dans le Nord du Pérou pour passer les fêtes de fin d'année.

Notre itinéraire initial nous faisait aussi repasser par la Bolivie, pour visiter sa capitale, La Paz, et remonter vers le Lac Titica. Ce ne sera pas possible. Nous devons aussi dire 'Adios Bolivia'. Les élections ont entraîné, partout dans le pays, des émeutes et des blocages. Le président, Evo Morales, s'est autoproclamé vainqueur des élections, et refuse un deuxième tour à son concurrent. Le pays a sombré dans le chaos. Les frontières et les sorties des villes sont bloquées par des manifestants. De nombreux voyageurs y sont restés coincés. Nous ne voulons pas nous diriger dans un piège qui se refermerait sur nous. Finalement, Evo Morales a pris la fuite, en exil au Mexique. Mais le pays reste instable.

Entre l'île de la Terre de Feu, au sud, et Arica, dans l'extrême nord, nous avons remonté le longiligne Chili sur plus de 5.000 kilomètres. On doit bien avouer qu'on n'avait pas d'attente particulière concernant ce pays. On n'a pas vraiment réfléchi ce qu'on pouvait en attendre. C'est probablement cela qui en a fait un des plus gros coups de cœur de notre voyage. La diversité des paysages y est incroyable : entre le sud avec ses paysages montagneux, sa carretera australe, ses lacs, ses fjords, ses îles (Chiloé, notamment) et ses volcans, et le nord avec son désert aride à perte de vue et sa côte pacifique aux plages de sable blanc... On a l'impression que beaucoup de paysages du monde sont concentrés dans ce pays.

Et puis, il y a la qualité de vie. Même s'il existe des inégalités et des problèmes sociaux, le Chili est un pays sûr, propre et où l'on peut trouver une diversité de produits artisanaux : fromage, vin, etc.

Enfin, il y a les Chiliens. Leur réputation est d'être très peu accueillant, voire distant. C'est en partie vrai si on les compare aux Argentins. Mais c'est totalement faux si on va à leur rencontre. Si on prend le temps de les écouter, de leur parler et de leur sourire, les Chiliens sont très accueillants. Le Chili nous a réservé de belles rencontres, et nous n'avons qu'une envie : y revenir. C'est donc avec une petite pointe au cœur que nous quittons ce pays magnifique.

Nous arrivons au Pérou avec un contrôle de frontière qui reste un des pires de notre voyage. Nous recevons des informations contradictoires concernant un formulaire à remplir : des douaniers péruviens nous disent qu'il est payant, d'autres nous disent qu'il est gratuit, certains feignent de ne pas savoir, d'autres essaient de nous arnaquer... l'atmosphère n'est pas très accueillante ! Finalement, c'est un chauffeur brésilien qui nous fournira le fameux formulaire. Mais dès le départ, on sent un changement de mentalité par rapport aux pays que nous avons traversé jusqu'ici. Cela se confirme au moment du contrôle sanitaire. Le douanier fait un peu à la tête du client. Il n'est indiqué nulle part que les fruits et légumes sont interdits. Soit. Mais ce qui est rageant, c'est que nos fruits et légumes sont confisqués, ils volent directement à la poubelle, sans autre possibilité. Aux autres frontières, quand cela arrivait, de bonne foi, les douaniers nous laissaient au moins manger notre pomme ou notre pastèque qu'on s'étaient réservés sous cette chaleur torride. Rageant.

Nous oublions bientôt notre frustration et prenons la route vers les Andes péruviennes. Nous arrivons dans un pays plus rural. Au bord de la route, les fermiers attendent avec une cruche à lait. C'est l'heure du passage du camion. Prochaine étape : Arequipa, une autre ville blanche...