C'est l'histoire d'une galère. Ou plutôt de plusieurs galères. On peut parler de loi des séries. Le genre de moment où tous les voyants du Concorde se mettent au rouge. Comment en sortir ? Ne pas paniquer et garder son calme. La solution n'est jamais loin. Çà, c'est pour la théorie, parce que dans la pratique, il faut une sacrée dose de volonté et de patience pour tenir le coup. C'est le genre de galère qui peut compromettre un voyage. Voire pire, la sécurité de tous... Et çà, c'est nerveusement fatigant.
Le Concorde a sa propre assistance technique : Les Mécanos d'Ushawa. Philippe et Grapy qui veillent, depuis la Belgique, à répondre à la moindre question de Ludovic... Souvent, c'est suffisant pour trouver une solution. Mais parfois, c'est plus compliqué ou il n'y a pas de réseau... la Belgique ne répond plus !
Heureusement, il y a les mécanos de Patagonie. Ils sont prêts à tout pour nous aider. Ils n'ont pas beaucoup de moyens ni de pièces détachées, mais ils sont touche-à-tout et trouvent toujours une solution pour que l'on puisse continuer notre route. Alors que dans nos pays hyper organisés, on doit parfois attendre plusieurs jours, le temps de commander une pièce, ils proposent une solution en quelques minutes. Ce n'est pas toujours la meilleure solution. Mais c'est la solution qui permet de s'en sortir, le temps de trouver une réponse définitive. Cet article est un hommage à tous ceux qui nous ont aidés sur les routes de Patagonie...
L'histoire commence dans le Parque Nacional Torres del Paine. Alors que nous quittons le parking du Lago Grey où nous avons passé la nuit, Ludovic ressent un grand vide dans la pédale de frein ! Il se gare au bord de la piste pour évaluer les dégâts. C'est la conduite de frein arrière gauche. Probablement une pierre qui l'a percutée. Elle est sectionnée. A chaque fois qu'on enfonce la pédale, le liquide de freins gicle...
Heureusement, nous sommes en terrain plat et à quelques centaines de mètres seulement du Centre de visiteurs du parc. Ludovic conduit le Concorde sur le parking, en veillant à ne pas toucher les freins. Nous devons trouver de l'aide. La ville la plus proche est à 150 kilomètres. Dans le parc, pas de garage et nous ne captons aucun signal téléphonique...
Nous passons au bureau des gardes pour demander de l'aide. Ils nous prêtent un téléphone, pour que nous puissions joindre un garage à Puerto Natales. Mais les recherches sont vaines. Le fournisseur de pièces détachées de Punta Arenas nous prévient : il n'est pas sûr de trouver une pièce pour Iveco en Patagonie. La pièce devrait venir de Santiago et avec les manifestations en cours, tout est bloqué. On abandonne la piste...
Notre salut vient d'un chauffeur de bus, qui nous explique qu'il faut trouver un moyen de boucher la conduite de freins endommagée pour rétablir la pression sur les trois autres roues. Apparemment, cela freine un peu moins bien, mais cela freine ! Et cela nous permet de continuer notre route jusqu'à la prochaine ville.
La première technique pour boucher la conduite ne sera pas efficace : plier le tube n'est pas suffisant. La pression est trop forte et le liquide de freins gicle toujours. Mais le deuxième essai est payant. Suite au conseil du chauffeur de bus, Ludovic introduit une vis dans le diamètre de la conduite. Le bouchon est parfait ! Après quelques essais, la délivrance est là : çà freine ! Il est déjà tard et nous décidons de passer la nuit sur place.
Dans les jours qui suivent, le Concorde a un comportement presque normal avec 3 freins sur 4. Il faut juste rester un peu plus prudent. Quand nous arrivons à El Calafate, 250 kilomètres plus loin, nous nous mettons en quête d'un mécano qui puisse nous réparer la conduite de frein. On fait la rencontre de Lucas. Ce n'est pas vraiment un garage, plutôt un terrain vague sur lequel il répare les voitures. Lucas n'a pas de tubes de freins. Il emmène Ludovic chez un spécialiste des voitures de courses qui peut nous fournir un tube de compétition. Mais le prix est aussi de compétition : trop cher pour notre bourse. On se met en quête d'une autre solution. Lucas nous propose de mettre une conduite en cuivre, mais nous avertit aussi que ce n'est pas très fiable comme solution. Finalement, la solution viendra d'une épave de Volkswagen (apparemment une Gol, modèle qu'on trouve en Amérique, hybride entre une Golf et une Polo) qui traîne sur le terrain : les tubes de freins sont les mêmes que sur le Concorde. Un coup de bol !
Lucas en profite pour ressouder le support du préfiltre à diesel, que nous avons installé avant de partir pour pallier au mauvais carburant qu'on trouve dans certains pays. Il s'est cassé à cause des vibrations. C'est un détail qui a son importance, parce qu'il est déterminant pour la suite... Le Concorde est prêt à reprendre la route.
Nous quittons El Calafate pour rejoindre El Chalten. Une piste de 70 kilomètres maltraite le Concorde : ça vibre beaucoup. Au bout de plusieurs dizaines de kilomètres, le moteur chauffe. On s'arrête au milieu de nulle part pour constater les dégâts : il n'y a plus de liquide de refroidissement. Pire, c'est le radiateur qui est endommagé ! Après quelques minutes d'inspection, Ludovic pose le diagnostic : le support du radiateur est brisé. Avec les vibrations, le radiateur a bougé et a frotté contre des vis. Il a fini par se percer. Il faut réparer et trouver un garage. Un brésilien qui passait par là vient à notre aide. Il fixe le radiateur avec un élastique que Ludovic avait gardé, "au cas où". Ce n'est pas parfait, mais cela doit tenir jusqu'au garage. La fuite est toujours là. Le Concorde avance doucement en essayant de ne pas surchauffer. De temps en temps, il faut s'arrêter pour rajouter de l'eau dans le circuit.
Lorsque nous arrivons à la ville de Gobernador Gregores, nous faisons la connaissance de Luciano, un jeune mécano passionné de courses de voitures qui accepte de nous dépanner. Pendant qu'il examine le moteur, son papa vient à notre rencontre. Nous discutons avec lui pendant que Luciano cherche une solution. D'abord, il faut réparer le support : une petite soudure et un coup de peinture et la pièce est opérationnelle. La réparation du radiateur est plus compliquée. C'est la partie en plastique qui est percée. Il faut trouver quelque chose qui résiste à la chaleur et à la pression. Luciano trouve la solution à la quincaillerie du coin : une pâte à souder qui résiste aux hautes températures. Il ajoute une vis pour boucher le trou et colmate avec la pâte. Nous attendons le séchage complet avant de remonter le radiateur. Çà a l'air de tenir, mais il est déjà tard et nous ne trouvons plus de liquide de refroidissement ce soir. Il nous propose de passer la nuit devant son garage et de venir tester le moteur demain matin.
Nous avons fait une belle rencontre en tombant sur Luciano et sa famille. Une fois de plus, nous prenons du plaisir à discuter avec les gens que l'on rencontre. Nous garderons un bon souvenir de Gobernador Gregores où nous nous sommes faits de nouveaux amis...
Le lendemain matin, Luciano est au rendez-vous. L'essai est minutieux et concluant. Nous reprenons la route.
A peine quelques kilomètres plus loin, le voyant rouge du liquide de refroidissement s'allume sur le tableau de bord du Concorde. Zut, la réparation n'a pas tenu. Ludovic ressort sa lampe de poche et sa caisse à outils. Apparemment, ce n'est pas le trou dans le radiateur qui fuit. La réparation a l'air de tenir le coup. Ludovic resserre les durites du radiateur, en espérant que ce soit suffisant.
Un peu plus loin sur la route, alors que nous quittons l'asphalte pour du ripio (chemin de tôle ondulée) qui mène à Cueva de la Manos (des pétroglyphes laissés par des hommes il y a plusieurs milliers d'année), un immense panneau nous avertit de la dangerosité d'une descente. Ludovic teste les freins et repère une anomalie. Quelques mètres plus loin, le Concorde est complètement à l'arrêt : les freins ne répondent plus ! Ce n'est pas le frein arrière gauche qui est en cause : il n'y a pas de fuites à cet endroit-là. Cette fois-ci, c'est plus grave : c'est la conduite de frein qui sort du maître-cylindre qui est cassée net. Pas moyen ici de mettre un bouchon. Sinon on n'a plus de freins du tout.
L'avantage de voyager en motorhome, c'est que, quoi qu'il arrive, on a de quoi vivre sur place pendant plusieurs jours. Nous sommes autonomes. Mais la situation est tendue : le soleil commence à se coucher, la ville la plus proche est à 100 km, nous sommes seuls sur un chemin balayé par des vents violents et personne ne passe par ici.
Ludovic repense aux épisodes de Mac Gyver et aux Carnets du Bourlingueur qu'il a vu pendant sa jeunesse. Il finit par trouver une solution. Pas évidente, mais c'est la seule solution possible : condamner le frein arrière gauche avec le bouchon qu'il a bricolé à Torres del Paine et récupérer la conduite de frein pour la placer à la sortie du maître cylindre. Dans le vent, le froid, la poussière et l'obscurité qui se fait de plus en plus grande, il commence à démonter la roue pour tenter de réparer.
Alors qu'il est en dessous du camion, une voiture argentine s'arrête. Le conducteur ne peut rien faire pour nous aider, mais il propose de prévenir l'office du tourisme de Perito Moreno, où il se rend, qui pourra signaler à la police nos difficultés. On accepte volontiers, ne sachant pas encore si on pourra réparer sur place.
Après plusieurs heures de démontage-remontage, Ludovic teste les freins. Çà marche ! Enfin, pas complètement. Les freins ne sont pas opérationnels à 100%. En fait, ils freinent à peine. Mais cela doit être suffisant pour rejoindre Perito Moreno.
Quelques centaines de mètres plus loin, alors que le Concorde s’apprête à rejoindre la route asphaltée, une voiture de police s'arrête à notre hauteur. Ils sont venus à notre secours grâce au conducteur qui a prévenu l'office du tourisme. Les policiers sont heureux d'apprendre que nous avons pu réparer et annulent la dépanneuse qui était déjà en route. Ici, il n'y a pas de Touring Secours, mais la solidarité et l'entraide de la Patagonie fonctionnent. C'est rassurant.
Cette fois, la nuit est complète sur ce coin de Patagonie. Les 100 kilomètres qui nous séparent de Perito Moreno seront les plus longs du voyage : sans freins, dans le noir, sur une route inconnue et montagneuse. La délivrance arrive quand nous nous garons à la station essence de la ville. La nuit sera bonne pour tout le monde.
Le lendemain, le garage du coin ressoude la conduite endommagée et resserre les durites du radiateur. Des freins et plus de fuite... on est prêt à monter sur la carretera australe, une des routes les plus difficiles des Amériques.
Mais on est pas encore au bout de nos surprises. A quelques kilomètres de la Carretera australe, la piste secoue trop fort le Concorde. Les vibrations ont été importantes et les freins ne répondent plus. Ludovic arrive à mettre le Concorde sur le bord de la route et constate, une fois de plus, les dégâts : c'est de nouveau la conduite du maître cylindre qui a lâché ! Au même endroit que deux jours plus tôt. Cela ne peut pas être un hasard. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le Concorde. Avec l'aide de Santiago, Ludovic tente une ultime réparation, mais il est arrivé au bout de ses idées. Mac Gyver et les Carnets du Bourlingueur ne suffisent plus. Il faut trouver un dépanneur. Nous sommes à 6 kilomètres de Puerto Guadual. Edna arrête la voiture d'un jeune couple qui part en week-end. Ils la conduisent chez Claudio, le mécanicien du village. Mais il est trop tard et Claudio a déjà rangé sa salopette pour aujourd'hui. Il nous promet de passer demain matin avec ce qu'il faut pour réparer. Nous passons donc la nuit sur le bord de la piste, sans freins et en pente. Tout le Concorde est incliné vers l'avant gauche. Chacun trouve une place pour passer la nuit de travers. La position est inconfortable, mais la vue sur le Lago General Carrera est superbe. On ne peut pas tout avoir.
Vers midi, Claudio vient nous dépanner. Il a façonné une conduite en cuivre qui semble tenir le coup. Il nous conseille de faire réparer le système à Coyhaique, la plus grande ville de la Carretera australe.
Sur la route qui mène à Coyhaique, le frein arrière gauche a de nouveau lâché. La conduite a trop souffert des différentes réparations. C'est presque devenu une routine : Ludovic condamne la conduite pour la troisième fois avec le petit bouchon bricolé qui, décidément, a bien servi.
Nous arrivons dans la capitale de la région avec la ferme intention de régler, une fois pour toutes, les problèmes de frein du Concorde. La situation est devenue épuisante pour tout le monde, particulièrement pour Ludovic qui ne sait plus s'il peut faire confiance à ses freins et ne cesse de les tester avant chaque descente.
Il aura fallu deux jours à Pablo pour réparer les freins du Concorde. Il nous a prévenu : les conduites de freins du Concorde sont très spécifiques, et on ne les trouve pas en Patagonie. Il faudra essayer d'en trouver en arrivant à Santiago. Et son diagnostic confirme celui de Ludovic : le préfiltre à mazout est trop lourd pour le support. Tant qu'on l'utilise en Belgique, cela tient, mais sur les routes ondulées de Patagonie, les vibrations sont trop fortes. Quand nous avons renforcé le support à El Calafate, nous l'avons fixé sur l'ABS, où sont reliés les conduites de frein. Les vibrations se sont transmises aux conduites de frein du maître cylindre... qui se sont cassées deux fois. On a donc retiré le préfiltre à mazout qui était la source des problèmes de frein. On verra plus tard comment le fixer plus solidement.
A plusieurs reprises, Pablo a essayé de refixer les conduites de frein. A chaque fois, elles ont lâché. La faute aux pas de vis des connecteurs, qui ont trop souffert. Le mécanicien chilien a donc finalement du se résoudre à refaire le pas de vis du maître cylindre. Une opération délicate et compliquée mais qui a été couronnée de succès. Depuis, les freins du Concorde ont parcouru des milliers de kilomètres sans aucun soucis. On peut officiellement dire que la galère est finie... quel soulagement !