Santiago et Mateo voulaient absolument aller skier dans la Cordillère des Andes pendant l'été européen. Et quand on pense au ski dans la Cordillère des Andes, on imagine des sommets à près de 7.000 m, des neiges extrêmes et des pentes à n'en plus finir. Ça, c'est pour le fantasme. Et cela existe surement, mais ce n'est pas sur notre route que nous l'avons rencontré. D'abord, parce que les hauts sommets des Andes, ils sont difficilement accessibles. Voire pas du tout, et pas aménagé pour accueillir les skieurs. Et aussi parce que, ici, ce n'est pas sur les plus hauts sommets qu'on trouve de la neige. Toutes les précipitations viennent de l'Océan Pacifique. De l'autre côté de la Cordillère, c'est le désert ! A cause des immenses montagnes des Andes, les nuages restent bloqués du côté chilien et la neige arrive rarement en Argentine. Pas de chance.
En plus, nous sommes début octobre, à la fin de l'hiver, et la plupart des stations ont déjà fermé leurs portes, faute de neige. Parfois même, la fermeture est permanente, le réchauffement climatique empêchant l'arrivée de la neige depuis de nombreuses années.
Nous devions donc explorer des sommets pas trop élevés pour trouver de la neige. Le Cerro Batea Mahuida, situé à quelques kilomètres de Villa Pehuenia sont de ceux là. On atteint ici un maximum de 1.200 m, juste assez haut pour laisser passer les nuages de neige, et pas trop bas pour que la neige ne fonde pas.
La station est minuscule. En fait, il n'y a même pas de station de ski. Une cafétaria et quelques chalets pour la location et l'école de ski. Deux ou trois tire-fesses. Rien de plus. C'est un parc de neige avec quelques pistes pour les débutants. On a donc du revoir notre fantasme de sommets inviolés à explorer. Mais on a quand même pu skier dans la cordillère des Andes.
Lorsque nous arrivons sur place, il est 9h. Pile à l'ouverture des pistes. Nos skis et tout notre équipement sont déjà prêts, nous les avons loués à Villa Pehuenia. Pourtant la station est vide. Personne. Nulle part. Après une bonne demi--heure, une petite camionnette arrive avec quelques employés de la station. Le temps que tout se mette en place, il est déjà presque 10h. Mais seule une piste va s'ouvrir. Il y a un problème sur le plus long des tire-fesses, et depuis hier, ils y travaillent pour le redémarrer.
Ludovic négocie l'affaire, disant qu'il ne peut pas payer la totalité, puisqu'une seule petite piste est ouverte. Les employés mapuches certifient que l'autre piste ouvrira en cours de journée... Ludovic obtient la journée à moitié prix. Bonne affaire.
Nous sommes toujours les (presque) seuls sur le site et doucement, le petit remonte-pente se met en route. Santiago et Mateo se précipitent et commencent à retrouver les premières sensations.
Manuel et Catalina sont en panne de moniteur de ski. Leur père s'est foulé la cheville quelques jours plus tôt et ne peut chausser ses skis. Il dit qu'il souffre énormément. Les autres prétendent que c'est du cinéma. Allez savoir...
Manuel et Catalina ont déjà skié. En Suisse et au Liechtenstein. mais c'était il y a plusieurs années... Nous décidons de les inscrire à l'école de ski du Cerro Batea Mahuida. La monitrice est gentille, mais pas très marrante. Le courant passe difficilement et après l'heure de cours, les enfants ont retrouvé les bases mais n'ont plus envie de suivre les cours de l'école de ski.
Après une bonne soupe chaude et un repas revigorant, la décision est prise : l'école de ski d'Ushawa est créée. Dans le rôle du coach/ directeur : Ludovic. Les moniteurs : Santiago et Mateo. L'intendance et le ravitaillement : Edna. Les élèves : Manuel et Catalina.
Mateo s'occupe de l'écolage de Catalina. Santiago s'occupe de Manuel. En bas de la piste, Ludovic observe et donne ses instructions après chaque descente. Dans le Concorde, Edna prépare le goûter. Les débuts sont compliqués. La confiance n'est pas encore optimale pour les deux apprentis skieurs. La frustration laisse parfois éclater une colère ou une déception. Mais petit à petit, chacun trouve ses marques et les progrès apparaissent.
La première étape a été de prendre le tire-fesses. Il y a bien sûr eu quelques chutes. Jamais graves. Mais finalement, Santiago et Mateo ont pu donner confiance à leurs frère et sœur pour qu'ils les accompagnent dans la remontée. Lors des descentes aussi, les manœuvres de chasse-neiges sont de plus en plus précises, les virages plus serrés, la vitesse mieux contrôlée. A chaque fois, Ludovic donne ses conseils, aussi bien aux moniteurs qu'aux élèves. Et petit à petit, Manuel et Catalina acquièrent l'expérience, la confiance et le savoir-faire nécessaires à l'exercice.
Au bout de la persévérance, arrive le moment où Manuel et Catalina maîtrisent suffisamment leurs skis pour prendre du plaisir à descendre la piste. Derrière eux, leurs frères veillent sur eux et donnent leurs derniers conseils pour parfaire la technique. Ils sont fiers, les grands frères, d'avoir appris à leurs benjamins à skier. Ils sont fiers, Manuel et Catalina, d'avoir appris à skier en une journée. Les premiers de la famille à avoir appris à skier dans la Cordillère des Andes.
Au bas de la piste, il est fier le directeur de l'école de ski d'Ushawa. Sous ses lunettes de soleil, il ne peut retenir ses émotions en voyant ses enfants apprendre à skier par eux-mêmes. Un peu comme si quelque chose a été transmis : le savoir-faire liechtensteinois du ski, bien sûr ! Mais ce n'est pas le plus important. Ce sont surtout les valeurs qui sont véhiculées par cette journée : la solidarité, l'entraide, la patience, l'écoute, la bienveillance. Ce sont des valeurs qui ont été transmises aux enfants. Des valeurs si importantes que les ainés ont pu les transmettre seuls aux plus jeunes. C'est une journée inoubliable pour toute la famille. Qu'importe qu'on soit sur les pentes à l'autre bout du monde.
Au repas du soir, tout le monde est conquis par l'expérience. Chacun y va de son anecdote et de ses sentiments. Nous décidons de prolonger l'expérience au lendemain.
Le deuxième jour, le remonte-pente principal n'est toujours pas fonctionnel. Renégociation de Ludovic qui obtient le même tarif que la veille. Sur la piste, les progrès de Manuel et Catalina sont encore plus importants : ils empruntent le tire-fesses seuls, ils descendent sans assistance... Ils sont partis... Mateo décide de s'essayer au ski en parallèle et fait de beaux progrès tandis que Santiago améliore son style à chaque descente...
En fin de journée, le tire-fesses ouvre même pendant quelques dizaines de minutes... avant de retomber en panne. Les aînés et les plus jeunes, toujours en binômes, en profitent pour faire quelques descentes, heureux comme jamais...
Jamais nous n'oublierons où et comment Manuel et Catalina ont appris à skier : dans la Cordillère des Andes, sous le regard de leur grand frère...